Herman Bertiau, images extraites de Bruxelles intime, 1990.

Herman Bertiau est un photographe belge, issu de l'INSAS (Bruxelles), dont il est sorti diplômé en 1975. C'est un voyageur, qui pratique la photographie documentaire. Il est âgé aujourd'hui d'une cinquantaine d'années. Dans l'introduction à son ouvrage Bruxelles Intime, d'où sont extraites ces images, le photographe explique qu'au retour d'un voyage au Brésil, il a eu " envie de voyager dans [sa] ville ". Pendant un an, de 1988 à 1989, H. Bertiau s'est rendu dans près de deux cents foyers bruxellois, et a demandé à leurs habitants de poser au milieu de la pièce de leur choix. Sylvie Nys, 26 ans en 1990, s'est chargée des textes : c'est l'occasion d'" assister à la mise en scène du banal comme du singulier ".
Les images sont réalisées en noir et blanc, avec une pose longue : entre un quart de seconde et huit secondes. On obtient un panorama de Bruxelles : classes sociales variées, origines multiples, âges divers, modèles photographiés isolément, en couple, en famille, avec des amis de passage, avec un colocataire ; présence des enfants et des animaux familiers.
Chaque image s'articule avec le texte qui la légende. On apprend des choses sur ces gens, sur leur vie ; c'est la satisfaction d'un désir voyeur. Le texte indique l'âge et la profession du modèle ; à quoi ressemble le salon d'un banquier ? d'une vieille institutrice ? d'un barman africain ? Savoir qui habite là, derrière la porte habituellement fermée : comment est meublé son intérieur, ce que l'on peut ainsi deviner de sa vie, de ses goûts.
Ces images posent la question de la mise en scène de soi ; les modèles posent, choisissent un lieu, une attitude, un habit. Que cherche-t-on à montrer de soi ? Il y a aussi tout ce qui transparaît malgré soi… Aspects ludiques, sociologiques. Aspects politiques : diversité des Bruxellois ; contrastes de richesse.




Importance de la représentation. Le rideau du fond fait comme un rideau de théâtre. Les époux, en habits traditionnels et âgés, sont redoublés par la photographie de mariage qui les représente bien plus jeunes et en habits occidentaux - photographie qui, curieusement, occupe le premier plan. Les enfants sont absents de cette scène, même en photo. Le couple est debout dans un décor chamarré, avec partout des imprimés. Richesse, confort. Mobilier marocain. Cette richesse contraste avec le milieu social ouvrier des modèles : mécanicien, femme de ménage. Il s'agit de se montrer comme un couple qui a réussi.




La photographie déborde d'un chaos d'objets africains. Le modèle est vêtu à l'africaine (seules les chaussures contrastent comiquement). Attitude hautaine, le visage légèrement renversé en arrière et tourné. Son fauteuil : un trône ? Parallèle entre le modèle et la grande statue africaine qui le domine. On a donc affaire à deux modèles, le comte, vêtu et assis, et sa statue, nue et debout. La statue : sa main sur la bouche (en Occident, geste qui dénote l'étonnement, le secret) ; son sexe impressionnant… Quel est le statut de cette statue priapique ? Compagnon ? Double coquin ? Le cheval sculpté fait comme un animal domestique. Univers décalé et polysémique : on pense à Tintin au Congo, au surréalisme (goût pour les objets rituels et l'art primitif), au pillage des richesses africaines perpétré par les colons, à la nostalgie des colonies ; mais peut-être y a-t-il aussi de la dérision ?




Image dénotant la misère économique (l'homme est vêtu d'un habit de type pyjama ; son lit se trouve près du frigo et de la TV : on a l'impression que toute la vie d'Arthur Juncker entre dans le cadre). Image de la vieillesse : mains fripées, bouche probablement édentée. Misère économique, mais aussi affective et sexuelle, avec ces mur couvert d'images érotiques. L'image exhibe ce que l'on caché soigneusement d'habitude : a sexualité d'un homme seul, pauvre et vieux. Le texte joue la surprise : Arthur Juncker a été anthropologue. Cette précision renforce le pathétique de l'image (cet homme abîmé a derrière lui une vie brillante) et ajoute une touche de grotesque : les femmes punaisées au mur sont le dernier objet d'étude de ce spécialiste de l'humain.




Ce portrait se caractérise par la théâtralisation avec les deux rideaux, qui définissent deux espaces scéniques identiques. Les de Changy trônent sur des fauteuil de style, à contre-jour (les regarder est éblouissant). Leurs deux enfants sont semblablement et étroitement maintenus par leurs parents à qui ils ne risquent pas d'échapper. Univers très organisé, sous le signe du double (deux rideaux, deux fauteuils, postures des parents presque symétrique… deux statuettes de chiens) ; au centre de l'image, surplombant le couple, un buste antique sur une colonne ; les séparant, un récipient mystérieux. Pièce vaste, plafonds très hauts, tapis, table marquetée, alarme dans l'angle supérieur gauche : tout dit la richesse et la distinction. Jeu de regards : les humains regardent l'objectif ; le buste regarde une statue de chien qui regarde sa jumelle.

Sandra M